La Colère des Aubergines Bulbul Sharma, traductions D. Vitalyos – éditions Picquier 1997

La Colère des Aubergines Bulbul Sharma, traductions D. Vitalyos - éditions Picquier 1997

 » Le menu était plus ou moins identique chaque dimanche, M. Kumar ayant cinq ou six plats favoris qu’elle lui servait en alternance tout au long de l’année. Bien qu’il vécût séparé de l’épouse à laquelle il n’avait jamais accordé la moindre attention, il venait régulièrement, chaque semaine déjeuner avec elle. Le reste du temps, il mangeait ce que son domestique lui préparait, ou bien prenait ses repas à son club. Mais dès qu’arrivait le dimanche, M. Kumar, comme un meurtrier aimanté irrésistiblement vers le lieu de son crime, prenait le chemin du foyer pour déjeuner avec sa femme. Il arrivait à midi et demi pile et n’avait jamais besoin de frapper ou de sonner car elle laissait toujours la porte ouverte. Il s’asseyait pour lie le journal pendant qu’elle apportait les dernières touches au repas. Parfois il se rendait dans la pièce qui avait été leur chambre et vérifiait le contenu  des placards, sans jamais toucher à rien. Ils n’échangeaient jamais une parole.

L’aubergine bharta était prête. Il ne restait plus à Mme Kumar qu’à la garnir de feuilles de coriandre fraîche qu’elle cueillerait au jardin. Cette année-là, elle avait produit une récolte exceptionnelle de légumes. Même l’oignon et l’ail venait de son potager. Elle coupa le gingembre en tranches fines qu’elle plongea dans du jus de citron frais, comme M. Kumar les aimait. L’année précédente, elle avait planté un citronnier dont elle surveillait soigneusement les bourgeons qui commençaient à apparaître. Ses mains dodues et pâles évoluaient sans effort tandis qu’elle hachait les oignons avant de les faire frire pour les rendre bruns et croustillants et en garnir le riz pulao. Ses yeux ne larmoyaient jamais lorsqu’elle coupait les oignons. Un avantage aussi rare avait suscité la stupéfaction dans sa famille. […]

Comme elle avait trouvé ce matin-là dans son potager deux grosses aubergines violette et luisantes, elle avait préparé un plat d’aubergines bharta pour accompagner le curry de viande au yaourt. Elle avait fait griller sur un feu de bois dans la cour derrière la maison avant d’ajouter les tomates et les piments verts hachés fins, mais brièvement. […]

Elle vint poser les aubergines bharta sur la table, à côté du raita de concombre rapé. M. Kumar froissa son journal et changea légèrement de position sur son siège, sans regarder. Elle se mit à transférer avec soin des cuillerées de pulao fumant du faitout sur un large plat, dernière relique d’un service de table anglais lui avait donné en dot. Le motif rose et or de la faïence mettait en valeur les noix de cajou et les raisins sur leur lit de riz brun doré. M. Kumar plia son journal et se leva. C’était son signal pour passer à table. […]

On n’entendait pas un bruit, sauf de temps à l’autre celui d’une cuillère contre un plat, le tintement léger des bracelets de Mme Kumar et les rots de satiété émis par M. Kumar tout en mangeant. »

page 78 à 81

Pour l’anecdote, ce livre m’a été offert par Mathilde et je me souviens très bien l’avoir lu au cours d’un voyage en train (Nogent-Nantes ? Paris-Nantes ?). Le train était parti aux alentours de 17h ou 18h, on devait arriver vers 21h, ce qui est déjà une horaire difficile pour un estomac classique ; ajoutez à cela, une panne de train en pleine voie et ce livre qui décrit avec délices chacune des textures, chacun des ingrédients et qui achève chaque chapitre sur la recette du plat décrit, je pense qu’on peut parler de torture. L’histoire c’est terminée sur mon arrivée à l’appartement le dimanche soir, le frigo vide qui m’attendait, sans aucun espoir de pouvoir le remplir dignement.  

sad sad story 😀


Pour continuer de lire à propos de l’Inde :

N’hésitez pas à enrichir ces articles par vos propres critiques et remarques 🙂 vous êtes ici chez vous

Tu as lu ce livre, donne nous ton avis :)